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Rien ne s'oppose à la nuit

Bonjour à tous!

Je vous retrouve aujourd'hui pour vous parler de "Rien ne s'oppose à la nuit", de Delphine de Vigan.

Pour commencer, j'ai choisi 3 extraits et j'ai justifié mon choix:

Extrait 1:

"Ma mère était bleue, d'un bleu pâle mêlé de cendres, les mains étrangement plus foncées que le visage, lorsque je l'ai trouvée chez elle, ce matin de janvier. Les mains comme tachées d'encre, au pli des phalanges.

Ma mère était morte depuis plusieurs jours."

Drôlement accrocheur, comme début d'histoire. L'auteure ne nous ménage pas, elle nous annonce directement la couleur: la suite du livre est tout aussi brutale que ces quelques lignes.

J'ai choisi cet extrait - extrêmement glauque, je vous l'accorde – pour ce qu'il a engendré par la suite. Je parle, bien entendu, du livre dans lequel se trouve ce paragraphe.

Car, si Lucile était décédée d'une morte naturelle (et non d'un suicide), Delphine n'aurait sans doute pas cherché à raconter l'histoire de sa mère, à ressasser sa triste vie. Bref, elle n'aurait pas cherché à trouver la faille qui a poussé sa mère à bout et lui a fait perdre goût à la vie.

Et, logiquement, le livre que j'ai choisi et dont je vous parle à cet instant n'aurait jamais été rédigé.

Extrait 2:

"Du sixième étage, la vue plongeante me permettait d'observer ce qui se passait chez nous. Je découvris Lucile dans le salon, elle était nue, son corps était peint en blanc. [...] J'ouvris la porte, nous nous précipitâmes dans le salon, Lucile tenta de retenir Manon par les cheveux, Violette lui ordonna de la lâcher, Manon se jeta dans mes bras. Maintenant elle était là, contre moi, elle pleurait, Lucile avait voulu lui planter des aiguilles d'acuponcture dans les yeux et avait réussi à en planter une sous son oeil droit."

Cet extrait est une partie de la description de la première crise de Lucile. Le début de l'horreur pour ses deux filles (Delphine et Manon), ainsi que pour elle-même.

C'est à partir de la lecture de ces lignes que le restant de confiance que j'avais en Lucile - et qui avait été déjà bien entamé - disparut définitivement.

Ce passage m'a particulièrement marquée, car il nous montre Lucile telle qu'elle est rendue par sa maladie: irresponsable.

Irresponsable, indigne de confiance et mère célibataire de deux enfants.

Extrait 3:

"Lorsque j'ai su que Jour sans faim allait paraître, je lui (Lucile) ait donné à lire le manuscrit. Un samedi soir où elle devait venir chez nous pour garder nos enfants, Lucile est arrivée ivre, le regard dilué. Elle avait passé l'après-midi à lire le roman, elle l'avait trouvé beau mais injuste. Ella a répété: c'est injuste. Je me suis isolée avec elle, j'ai tenté de lui dire que je comprenais que cela puisse être douloureux, que j'en étais désolée, mais il semblait que le livre révélait aussi, si besoin en était, l'amour que j'éprouvais pour elle. Dans un sanglot, Lucile a protesté: ce n'était pas vrai, même au pire de la torpeur, ce n'était pas comme ça. Je l'ai regardée, j'ai dit: si.

Je ne lui ait pas dit qu'elle avait été pire, pire que ça."

Lucile était malade; elle le savait. Ce n'était pas sa faute, mais elle le savait. Le minimum aurait alors été d'assumer le fait qu'elle n'avait pas rempli son rôle de mère. Qu'elle avait mené la vie dure à ses filles. Qu'elle les avait fatiguées, énervées, effrayées.

Que c'était en partie de sa faute si Delphine était tombée dans la terrible et redoutée anorexie.

Ce n'était déjà pas facile pour Delphine. Mais que sa mère nie, ce fut trop. Pire, elle niait alors que sa fille lui avait déjà pardonné.

Irresponsable, indigne de confiance et lâche.

Mon avis:

Avant celui-ci, plusieurs livres avaient manqué de me faire pleurer. Ils m'avaient marquée par la beauté de l'écriture, la richesse du vocabulaire ou encore la maîtrise de la syntaxe.

Mais ce qu'il y a de plus dans celui-ci, c'est l'authenticité de l'histoire. A travers les mots, on sent le vécu, la douleur, la colère, la tristesse, la culpabilité, toutes ces émotions au travers desquelles l'auteure a dû passer - que ce soit dans son passé ou dans l'écriture de cette œuvre.

La première partie du livre raconte l'enfance de Lucile. Elle n'a jamais été dorée, mais elle était entourée de gens qu'elle aimait. Elle a grandi au milieu de ses huit frères et sœurs. Elle jouait avec eux, faisait des bêtises avec eux. Pleurait avec eux, aussi.

C'était une petite fille heureuse, quoiqu'un peu étrange. Sombre, mystérieuse.

Différente.

On ne sentait pas la suite venir. Lorsqu'elle se maria, à 18 ans, j'étais persuadée qu'elle resterait avec son mari un certain temps. Qu'elle réussirait sa vie, qui serait équilibrée. Qu'elle aurait de nombreux enfants, qu'elle aimerait profondément, soutiendrait et éduquerait avec la fantaisie qu'on lui connaît. A quel moment l'a-t-on perdue? Je ne saurais le dire.

Peut-être quand elle a quitté son mari et qu'elle a commencé à enchaîner les histoires avec des hommes tous aussi étranges les uns que les autres.

L'apparition de sa bipolarité, à la fois brutale et inattendue, a été le début de la fin.

J'admire Delphine et Manon. Elles ont réussi à cohabiter, plus qu'à vivre, avec leur mère, tantôt alcoolique, tantôt accro, tantôt normale, mais surtout toujours malade. Elles ont supporté chaque crise en gardant leur sang-froid. Elles ont vécu des années sans mère, seules, livrées à elles-mêmes. Je ne pourrais pas retranscrire à quel point ce que j'ai lu était atroce.

Des années plus tard, lorsque Delphine retrouve sa mère, morte dans sa chambre, la description totale nous est faite; ça va de la radio, branchée sur France Inter, à la trace de moisissure sur sa joue.

Ce n'est qu'en lisant ce livre que je me suis rendue compte qu'une maladie mentale ne touche pas que le malade. Elle touche l'entourage, la famille, les connaissances. Le malade n'est que le cœur du problème, autour duquel s’agglutinent autour des dizaines d'autres.

Ce livre m'a également montré à quel point le destin s'acharne, encore et toujours, sur les mêmes personnes. Comment il rend des vies insupportables. Et comment il accompagne des gens jusqu'à la mort. Jusqu'au suicide.

J'estime avoir aimé un livre quand je suis capable de le lire jusqu'à une heure du matin pour le finir. Quand je ne peux pas le poser, quand je DOIS connaître la suite. Quand j'y pense, jour et nuit, près d'une semaine après l'avoir fini.

Ce n'était pas le cas avec ce livre. Chaque jour, je redoutais presque le moment où je me mettrais à le lire. Un roman de cette taille (400 pages) me prend, en général, une après-midi à lire. Peut-être deux. Rarement plus de trois. Mais ici, l'histoire est tellement dure, tellement étouffante, tellement... intraitable que j'ai mis plus d'une semaine à le finir. J'ai eu du mal à entrer dans l'histoire, à m'en imprégner, à vouloir la poursuivre, et à tenir jusqu'au bout.

Et, maintenant achevé, je pleure.

Je pleure parce que ce livre n'est pas de ceux qu'on apprécie. Pas plus que de ceux que l’on referme sans rien ressentir. Ce livre m'a bouleversée. M'a mis les idées sens-dessus-dessous. M'a complètement retournée.

Ce livre m'a fait savourer mon existence facile et heureuse.

Alors, non, je n'ai pas aimé ce livre. Mais il a contribué à beaucoup plus que me faire passer un bon moment; il m'a donné une énorme claque. Il m'a fait passer par toutes les émotions possibles. M'a transformée en sac à larmes.

Et m'a montré que, d'un jour à l'autre, la vie de n'importe qui peut basculer, pour passer du rêve au cauchemar. Comment le destin peut arriver à pas feutrés, frapper. Et détruire des familles entières.

Sans doute beaucoup trop mise au second plan à cause de l'histoire elle-même, la plume de Delphine de Vigan et son style bien personnel en sont pour beaucoup dans ce livre. Son don (on ne peut pas appeler ça autrement) pour choisir les mots, les cisailler, les tailler, les placer au bon endroit pour faire ressentir l'histoire comme elle l'a ressenti, a été pleinement exploité ici. Peut-être cela a-t-il un peu atténué la dureté de certains passages. A moins qu'il ne l'ait amplifié ? Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, Delphine possède un réel talent d'écrivain, ce qui aide à marquer les esprits. Enfin, je crois.

Pour conclure? Ce livre est comme un cours de maths: particulièrement désagréable, mais réellement utile et révélateur.

A bientôt!

Manon


Bienvenue dans le palais de la lecture!

Moi, Manon...

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